Il y a toujours deux faces à une pièce
Depuis petite, j’ai été bercée par un magnifique livre « 7 milliards de visages » de Peter Spier, qui montre aux plus petits la richesse que sont nos différences (pour lutter contre le racisme, la première arme reste la connaissance). C’est les yeux grands ouverts sur les autres cultures que je suis partie seule à 12 ans rejoindre ma tante qui vivait alors au Cameroun, puis à Madagascar à 14. Je remercie chaque jour mes parents de m’avoir permis d’exprimer si jeune mon besoin de découverte d’un monde multiple; de m’avoir offert ces opportunités de prendre pleinement conscience de mon humanité.
Je me suis toujours beaucoup interrogée sur le concept de beauté dans les différentes cultures. Il n’est en effet pas rare que les occidentaux brandissent l’argument de l’assouvissement de la femme contre diverses pratiques ancestrales de l’autre bout du monde.
Mais qui sommes-nous pour juger ? Quel droit aurions-nous à prendre partie sur des sujets qui ne nous concernent pas ?
Lors de mon dernier voyage en Thaïlande (retour samedi dernier), je suis partie 10 jours en moto à la découverte des paysages magnifiques du nord du pays et de ces habitants. Au cours de ce périple, à mi-chemin de la Mae Hong Son loop, je me suis trouvée à quelques kilomètres d’un village de la tribu des Karens, ce peuple birman ayant fuit en pays voisins au siècle dernier et qui y vit depuis; tribu notamment devenue célèbre pour ses femmes au long cou, aussi appelées « femmes girafes » !
Sujet de polémique, vous entendrez souvent dire qu’elles mourront si on leur retire leur « collier » ou encore qu’on y ajoute année après année de nouveaux anneaux jusqu’à ce que la femme atteigne l’âge adulte… tout cela est faux. Ce collier n’est pas constitué d’anneaux circulaires incrémentables mais n’est fait que d’une seule et même pièce qui se transmet de mère en fille; et il n’étire pas le cou, mais pousse les épaules vers le bas. Horrible me direz-vous ! Bien sur, le process est douloureux et à l’âge adulte, le femme porte ainsi jusqu’à 5kg sur les épaules, sans jamais s’en défaire. Dois-je toutefois vous rappeler la douleur que subissez les femmes à qui nous infligions le corset, la taille de guêpe étant alors considérée comme esthétique entre le XVI et le XIXe siècle ?
Je me suis évidemment posée la question d’aller ou non voir cette tribu. Est-ce malsain de s’y rendre pour voir ces femmes étalées comme dans un zoo pour que les touristes – viennent s’y associer le temps d’un selfie contre une petite pièce ? Le boycott et donc l’arrêt complet de rentrée d’argent pour tout le village est-il la solution ?
J’ai décidé – en toute conscience – de m’y rendre, par mes propres moyens et non dans un bus rempli de touristes. J’y suis allee, non pas pour y prendre des photos mais pour comprendre. J’ai rencontré une jeune Karen qui avait fait le choix de porter le dit-collier car elle était « fière de perpétuer la tradition », m’a t’elle dit. Elle-même, mère de deux jeunes filles leur fit essayer lorsqu’elles ont eu 5 ans, mais après deux mois, ces dernières ont préféré ne pas reprendre le flambeau. Vision réelle ou histoire inventée pour les « blancs trop curieux » ? J’aurais pu douter jusqu’à ce qu’en remontant sur mon scooter, je croise une douzaine de femmes de tous âges qui revenaient des champs. En plein pipeletage, elles riaient et semblaient joyeuses. Parmi elles, trois jeunes femmes « au long cou « totalement intégrées et prenant part – comme toutes les autres – à la vie de la communauté.
Je suis heureuse d’avoir pu assister à un tel moment de vie, de partage d’une culture qui n’est pas la mienne.
Vous n’aurez pas de photos de ces « femmes girafes » car je vous l’ai dit, je ne suis pas pour le boycott mais je ne ferai rien qui pourrait donner l’impression à ces femmes de n’être que de simple « bêtes de foire ». Je n’ai pas besoin de photo pour me souvenir de ce moment, et vous n’en avez pas besoin pour comprendre mon propos.
La culture ca se partage (pour nous comprendre collectivement) et la rencontre avec l’autre, il faut en faire l’expérience (pour s’élever individuellement).
Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc; il y a toujours deux faces à une pièce…